Un oeil glauque sur... l'héritage américain
Il est souvent de bon ton, en particulier dans les milieux alternatifs, de critiquer « les Etats-Unis ». Ils sont dressés en symbole « du mal » et, pour les représenter, on réduit les USA à « Coca-Cola », « Macdonald’s », le « capitalisme » et « la guerre d’Iraq ». C’est pourtant un discours par lequel tous les Européens, même et surtout les plus alternatifs, devraient se sentir personnellement insultés.
En effet, que sont les Etats-Unis ? La plupart des gens qui les critiquent n’y sont jamais allés, et parfois même ne connaissent pas un seul citoyen américain. Ils ne savent pas ce qui se passe pour les bonnes gens aux USA et à quoi ressemble la politique ou la culture américaine en-dehors des salles de cinémas et des articles mielleux de la presse contemporaine.
Tout d’abord, les Etats-Unis sont un Etat, et dans ce sens, selon un principe qui est né et qui a fortement persisté en Europe bien avant de toucher le nouveau-monde, « Coca-Cola » et autres « Macdo » ne sont en rien une part de cet Etat : le capitalisme, qui a été inventé dans sa forme en Europe déjà dès le Moyen-âge, garantit aux entreprises d’être pleinement indépendantes des Etats. Donc les petits malins qui attaquent un pays parce qu’ils éprouvent une frustration compréhensible à la vue de logos se trompent de cible, parce que cette cible est totalement impuissante à faire quoi que ce soit.
D’autre part, les Etats-Unis sont une fédération, autrement dit, un Etat cosmopolite composé de cinquante Etats indépendants, selon une logique de décentralisation familière aux Suisses ou aux Allemands, mais que les Français se montrent systématiquement incapables de comprendre. Chaque Etat dispose de politiques propres et, parfois, d’un système démocratique propre. La Californie, par exemple, dispose d’une démocratie semi-directe, comme en Suisse, le peuple ayant le droit de créer et de se prononcer sur des lois. D’autre part, il n’existe pas de « système social américain », chaque Etat dispose de son propre système. Donc, quand on critique telle politique « des Etats-Unis » on se trompe en fait pour une grande partie de la population américaine qui n’est pas sous le régime de cette politique… Le système de santé d’Obama vient d’être accepté : cela va peut-être changer.
Certes, il reste le problème des guerres et de l’armée. Le gouvernement s’acharne à exploiter depuis longtemps les seuls pouvoirs dont il dispose – celui de faire la guerre et de laver les cerveaux. C’est une chose malheureuse que je pense qu’il faut combattre, mais ce n’est jamais une raison pour critiquer l’ensemble d’un Etat, en incluant ses territoires, ses citoyens, tous ceux qui préfèrent la survie au suicide, sous prétexte que, au même titre que les Français d’ailleurs, ils sont gouvernés par des trous du cul.
Que serait le monde sans les USA aujourd’hui ? Meilleur ? Pire ? La question est stupide. Sans les USA le monde serait différent (peut-être même très différent), mais ne nous enfermons pas dans des idéologies stupides : ce ne serait pas pire, et en tout cas pas meilleur.
N’oublions pas que la création des Etats-Unis a inspiré la Révolution française. La France serait-elle vraiment une République s’ils n’avaient pas pu inspirer leur Constitution des USA ? La Suisse doit la majeure partie de ses institutions politiques et de ses mythes fondateurs aux USA. Que serait la Suisse aujourd’hui sans cette inspiration ? Trois pays distincts ? D’autres Balkans ? Je pourrais aussi me montrer méchant, et pointer du doigts tous les progrès techniques et scientifiques impossibles sans le soutien des Etats-Unis ; leur production littéraire qui change de l’insupportable glose intellectualiste des francophones ; leur production cinématographique dont même les plus violents des anti-américains ne peuvent se passer ; leur volonté de ne pas imposer une langue nationale par souci d’égalité de traitement entre les citoyens et les étrangers ; le fait que je puisse écrire ces lignes aujourd’hui parce que personne d’autre n’a jamais eu l’idée d’Internet…
Bref. Restons chaque jour critique de ce qui se passe autour de nous. Ne laissons pas nos idéologies aveugler notre jugement. Ce n’est pas parce qu’une chose nous déplaît qu’il faut systématiquement balayer 300 millions de personnes de leur statut d’être humain. Même les meilleurs d’entre nous partagent une part égale de la responsabilité de ce qui se passe de mauvais autour de nous, sans la moindre exception. On n’est jamais moins coupable que les autres. Les Européens, les Suisses ou les Israéliens non plus.